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16 septembre 2020 3 16 /09 /septembre /2020 10:01

 

 

 

Bernard Stiegler

J’ai choisi de suivre le séminaire en ligne de Bernard en cherchant à décrypter son titre pour commencer : le pharmakon. Car entrer dans l’univers de Stiegler c’était comme partir à l’aventure. Une aventure d’idées, de concepts revisités, de concepts inventés ex nihilo, en un brassage pluridisciplinaire dépassant de très loin le strict cadre des nouvelles technologies, contrairement au portrait rapidement brossé ces derniers jours dans la grande presse. Pénétrer son univers demandait la patience d’un chameau et la précision d’un aigle, pour accepter de traverser sa propre ignorance. Car en bon autodidacte, il ne fixait pas de frontières à ses ambitions de clarification des consciences, balayant le champ économique avec lequel il savait jongler pour établir des connexions au sein des plus grands groupes industriels, celui de l’histoire des idées bien sûr, mais aussi des religions et mythologies qu’il savait connecter sans caricatures aux questions les plus contemporaines. Il se passionnait pour les questions de physique pure et entretenait des relations suivies avec mathématiciens, biologistes, anthropologues, éthologues, anthropologues, informaticiens, artistes et autres psychanalystes. Autant dire qu’aucune sphère ayant trait aux idées ne le laissait indifférent et sans ressources. Préférant l’amateur au consommateur, Stiegler travaillait à créer les conditions exorganologiques du rêve. D’un rêve social qui prendrait corps en intégrant la nouvelle donne de cette automatisation en marche du monde contemporain dont il décrivait sans cesse les ombres à venir comme les espérances. Ces cours formaient à posteriori des restes diurnes qui pouvaient s’agencer en projections créatrices chez l’auditeur captivé. Il aimait à dire que le rêve est un type particulier de la pensée.

Un rêve transite en soi vers soi. Et il permet de créer sa loi intérieure contre la loi dominante. En un écart salvateur. Valorisant la diachronie par rapport à la synchronie. Il nous voulait capables d’agir en désirant et en rêvant, libérés des conditionnements blafards du tout consumériste.  Car penser pour Stiegler, c’est aspirer à nuire à la bêtise, hors des sentiers stéréotypés. En intériorisant ce qu’il reprenait à son compte : les rétentions tertiaires ouvrant sur les protensions. Grand cinéphile connaissant de près les techniques de montage, appréciant Kiarostami, Godard, Fellini, Truffault, le cinéma russe et tant d’autres, grand conteur pouvant décrire avec affection un voyage en Iran et ses taxis n’écoutant que de la poésie à la radio, la passion animait chacune de ses interventions. Si les rêves et les techniques forment une boucle libidinale noétique élaborant les idées en les différant, ses séminaires toujours consultables en ligne abreuvent ce genre de boucle jusqu’à plus soif.

 

« Aimer, s’aimer, nous aimer : Du 11 septembre au 21 avril », Bernard Stiegler (Galilée, 2003)

 

Généalogiste des catégories comme Nietzsche, Stiegler faisait preuve d’une rigueur portant aux conflits avec ses pairs qu’il n’hésitait pas à brocarder crûment. La moralité et les circonvolutions courtoises n’étaient pas sa tasse de thé même s’il respectait ses adversaires. Estimant le fonds pré-individuel comme porteur d’interprétations, il quêtait l’exception et l’atypique en une interprétation transindividuante permettant une biographie politique et une biographie économique de son monde. Luttant contre l’automatisation de l’être qui détruit toutes les singularités, il s’est consacré aux exorganismes qui ouvrent le champ des altérités. Il s’est longuement penché sur l’œuvre de Nietzsche et Heidegger.

La pulsion de destruction comme volonté de puissance a été pensée et intégrée à la pharmacologie stieglerienne. Luttant pour défendre les lumières contre le malheur. Créateur de territoires contributifs chargés de préserver les capacités de mémorisation et de projections des individus et groupes les plus fragilisés par cette modernité nihiliste, contre des modèles mathématiques qui installent cette société automatique. Refusant de voir ses contemporains devenir des résidus amorphes et otages des GAFA, Stiegler proposait le modèle des spirales métastables afin de faire de l’humain la somme de ses tourbillons existentiels pris et sauvés dans les flux de leurs métamorphoses.

Suivre ses séminaires, c’était refuser de finir pendu au bout de son antenne satellite et rivé en une hypnose mortifère à ses smartphones. C’était vouloir faire face aux flux qui désintègrent de par leur martèlement tentaculaire de surexposition médiatique engendrant cette fameuse disruption dont il avait œuvré à préciser les contours. Se livrer à l’épreuve de l’entropie qui gagne toujours plus de terrain mais qu’il faut pourtant affronter sans se laisser sombrer par un rapport de forces inégal.  Et pour gagner ce combat titanesque, il employait une technique courageuse : celle de faire dialoguer des chercheurs et penseurs de tous horizons idéologiques et culturels, en un décloisonnement conceptuel indéfiniment ouvert.

Des plus méconnus comme Amartya Sen, Gilbert Simondon, Alfred Lotka, André Leroi-Gourhan, Léon Brillouin, Norbert Wiener, Lawrence Lessig, Antoinette Rouvroy, Isabelle Stengers, Aby Warburg, Vernadski, aux plus célèbres, Bataille, Bergson, Deleuze, Derrida, Nietzsche, Heidegger, Marx, Spinoza, Foucault, Valery, Freud, Lévi-Strauss, Carl Schmitt.

Stiegler croyait en la lutte contre les profits immédiats et leur pulsion de destruction des consciences. La recherche qu’il proposait était contributive via des délibérations urbaines et citoyennes. Pas d’individuation sans la pensée de Stiegler mais le règne des fourmilières et de la crétinerie organisée du marketing des âmes intoxiquées ouvrant le vide de la post-vérité, du relativisme stérile, de l’anomie et de tous les complotismes délirants. Ce combat Stieglerien est de nature spirituelle qui vise à empêcher la guerre civile liée à cette destruction de toutes les constructions psychiques, identitaires et sociales. Pour demeurer civil et faire reculer la guerre de tous contre tous, l’œuvre de Stiegler est tout simplement incontournable.

© Thomas Roussot

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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 11:59

 

Extrait :

 

 

Tout humain a besoin d’espérance, de connaissance, de rêve, et c’est la mission centrale du cinéma que de répondre à ces attentes vitales.

Un bon film raconte le monde et réalise un processus de réverbération chez le spectateur : il lui permet de se distancier de sa propre existence tout en s’en rapprochant. Si loin, si proche, l’objet filmique peut stimuler l’empathie, la sensibilité, l’imaginaire et parfois la lucidité. Nous gardons toujours  des souvenirs vivaces de nos premières expériences dans les salles obscures. Notre passé s‘organise souvent autour de ces souvenirs, permettant au présent de prendre un élan différent, enrichi d’autres visions, d’autres perceptions du monde.

Sans narration, l’esprit humain perd son sens de l’orientation, et face au chaos du monde, pouvoir se retrouver dans une histoire revient à s’éclairer comme les anciens auprès des mythes.

Un grand film confère à l’existence de nouvelles sensations, de nouvelles directions possibles. Il permet d’envisager autrement son propre positionnement mondain, ses propres attentes, dont il sait redessiner les contours de façon souvent inconsciente.  Qui, en sortant d’une séance mémorable, n’a pas ressenti ce flot d’images faisant l’effet d’une fontaine de jouvence, se retrouvant comme enrichi de mystère et d’enthousiasme ?

Le but de cet ouvrage est de restituer cette sensation, d’ouvrir l’appétit du lecteur pour partir ou repartir à la découverte de ces continents oniriques  que sont les œuvres des grands cinéastes.

Le cerveau humain est dynamique et plastique, les perceptions qui en découlent également, mais encore faut-il alimenter cette machinerie cérébrale de magie et d’ingrédients de qualité pour lui assurer un enrichissement durable. Les chroniques qui suivent, vous  procureront, je l’espère,  un menu diversifié et attractif pour ce faire.

 

Certains esprits chagrins pourront se demander en quoi des fictions peuvent influencer favorablement le réel et pourquoi s’attarder sur des films marquants, alors que le monde environnant est le plus souvent à feu et à sang ? Je leur répondrai tout simplement parce que les faiseurs de l’actualité, qu’elle soit locale, nationale, ou internationale, ont régulièrement recours aux techniques du cinéma, à commencer par la mise en scène, à la psychologie de la perception, aux arrangements, à la scénarisation du tragique, à l’excitation des peurs, désirs, ressentiments et autres obsessions, via des dispositifs filmiques instrumentalisant la subjectivité spectatrice, et qu’il vaut mieux  continuer de se rendre au cinéma pour y découvrir « d’authentiques fictions » qui s’assument dans leur volonté de distraction première. Alors, un faux raccord, un faux direct, des dialogues artificiels ou non, demeurent au final de simples aléas techniques émaillant des tournages que l’on espère ludiques, et non des tentatives de propagande subliminale. L’idéologie n’est toutefois pas toujours absente de ces créations innocemment présentées comme divertissantes mais tel n’est pas l’objet de ce livre que de la traquer.

Quel que soit le genre auquel appartient un film, qu’il soit  d’horreur, de fantastique, de comédie, d’auteur, qu’il bénéficie d’un gros budget ou non, l’expérience de transcendance émotionnelle peut se déclencher via tout projet, y compris de qualité moyenne. Elle dépend de nombreux facteurs, dont le plus important est la réceptivité psychique du spectateur.

 

Si le cinéma est avant tout, comme le considérait Deleuze, « la mémoire du monde », et « l’espace de tous les possibles » selon Lukàcs, alors, que faire de jugements à posteriori sur la consistance et les qualités présentes ou non d’une manifestation essentiellement magique ? À savoir dépendante de milliers d’interactions échappant au domaine strictement rationnel, mais s’appuyant sur des contextes émotionnels, culturels, économiques, politiques, sexuels, temporels et donc métaphysiques, si variés, hétéroclites et contradictoires, qu’ils ne peuvent faire l’objet d’un avis, au sens strict du terme, sans passer à côté d’une part significative de leurs contenus respectifs.

C’est pourquoi cet ouvrage ne s’inscrit pas dans une démarche critique. Il vise assez ambitieusement à transmettre cette capacité transcendantale tapie régulièrement dans les films, à en retirer la quintessence, qu’elle soit romantique, hédoniste, divertissante, nihiliste, futile ou métaphysique. Et à plus long terme, réaliser combien de simples films peuvent modifier votre point de vue sur la vie et cette dernière par la même occasion.

 

 

 

Amour fou

Bouquet de jappements, Kleist est invité, on donne un récital traitant de marquises engrossées, qui ne peuvent plus aimer, de violettes dans les prés, qui s’inclinent devant des parterres de gens bien mis.

La tristesse s’insinue dans sa chair, c’est toute la vie qui le blesse, de sa lumière à ses distractions, rendant son présent sans charme et son avenir opaque. Il y a parfois tellement de différence entre ce que l’on dit et ce que l’on veut, comme ces gens qui pensent vouloir vivre mais ne font que mourir. L’on devise à propos des Républicains et des Démocrates, qui ne manqueront pas de saccager toutes les valeurs et l’ordre de la Prusse féodale. Il cherche cette fille qui souhaitera mourir juste pour l’accompagner. Il a peur de le faire seul. Car de romantique, il n’a que la tenue. Le servage, c’est l’amour.


Kleist se réjouit de ce qui n’existe pas. Il hésite entre Marie et Henriette pour cette issue d’importance. Il faut qu’elle soit comme lui, sans amis, sans attente, appréciée de personne, se passant déjà de tout. Une étrangère au monde en somme. Une fille à inflammation, qui imagine aussi fortement sa vie qu’elle ne la vit, à tel point que ses rêves et ses jours se confondent, ce sera difficile à décrire, encore plus à assumer. Même l’examen des urines ne peut dévoiler le mystère d’une telle souffrance, méticuleusement négative, pleine d’alanguissements et autres évanouissements sans cause organique. Alors on se demande si elles sont malades, ces prétendantes à la cour d’un poète parfaitement égocentrique et fat. Cela leur gâche l’humeur, ainsi que celle de l’entourage. Les gens bien mis. Ils n’aiment pas toutes ces passions stériles. Ce qui compte, c’est de ralentir le train de toutes ces réformes proposant l’impôt pour tous en échange de plus grandes libertés. Mais lesquelles ? Les magnétiseurs n’y peuvent mais. Et même si ce n’est pas une lésion, il faut des années pour comprendre ce dont il s’agit. Voire plus. Le parfum douceâtre des fleurs et du quotidien fané emplit le soir de ces femmes qui ne couchent plus avec leurs maris depuis bien longtemps. Une peur indéfinie rôde autour de leurs faits et gestes. Et si toute leur existence n’était qu’une erreur ? Tumeur incurable, saignée, camomille, pas de coït, se ménager, grand air, la meilleure prescription avant d’en finir. Autour d’elle, on continue de tisser, de pianoter des airs vagues, il faut faire avec. Une fois condamné, on réalise tout ce qu’il fallait faire, comment il aurait fallu se comporter. Tout devient parfaitement clair. La noblesse résiste aux réformistes, on manque de fonctionnaires pour appliquer tous ces grands projets. Les autres trouveront leur place dans la vie, ils en seront satisfaits. Henriette et Kleist se sont trouvés au bon moment. Le dernier. Lui n’a jamais d’empêchements, seul le labeur des jours lui tient lieu de compagnie. Il cherche cette tête qui bruisserait de la même lassitude de vivre que celle habitant la sienne. Une tête balayée de vide. Kleist se rue sur l’une quand l’autre se détourne de son morbide projet, ces femmes sont sa roulette russe, désuète et insipide, intéressée. Une vanité ornée de mélancolie surjouée, l’égo concentré/dilaté dans ses mots. Mais une force étrangère est susceptible de commanditer toute leur destinée, et faire d’eux une simple somme de modestes marionnettes qu’ils s’évertuent à ignorer. Des cailloux perdus sur la chaussée, dispersés dans la neige de leur solitude. Quant à travailler leur bonté, leur douceur, ils n’auront pas trouvé le temps. Le chien comprenait. Les soldats, le ciel, tout suivrait. La Démocratie arrive, règne d’une cohorte d’aveugles dominant quelque minorité éclairée. Aucune altération organique n’expliquerait le geste final. Tout diagnostic confinait au faux.
Elle voulait une vallée sans affliction avec des primevères et du silence. Une brise sous laquelle il ferait bon être.

 

 

Amour fou est un film austro-germano-luxembourgeois réalisé en 2014 par Jessica Hausner, s'inspirant du suicide du poète Heinrich von Kleist en 1811. Le film a été présenté en divers festivals, dont celui de Cannes, dans la catégorie Un certain regard1.

Synopsis

Un poète, Heinrich, est désespéré de devoir mourir inéluctablement et invite sa cousine, peu enthousiaste, à vaincre - selon ses dires - cette inéluctabilité en se suicidant avec lui par amour. La jeune épouse d'un ami, rongée par une maladie mortelle, décide de relever sa proposition.

Fiche technique

  • Titre international : Amour fou
  • Réalisation et scénario : Jessica Hausner
  • Production : Coop99 Filmproduktion, Amour fou Luxembourg, Essential Filmproduktion
  • Photographie : Martin Gschlacht
  • Montage : Karina Ressler
  • Durée : 96 min
  • Sortie :
    • Autriche : 6 novembre 2014
    • France : 4 février 2015

Distribution

 

 

 

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2 décembre 2015 3 02 /12 /décembre /2015 17:21
Le Lob du Destin

Éditeur : Editions Salto

Prix de vente au public (TTC) : 17 €

256 pages ; 21 x 14 cm

ISBN 979-10-95408-01-7

EAN 9791095408017

Résumé : Vladimir, adolescent atypique, aspire à percer dans le monde du tennis professionnel, contre la volonté de tous ceux qui l'entourent. Seul Ibn, cet entraîneur venu de nulle part, philosophe et marginal rejeté par sa Fédération croit en lui. Pour atteindre le niveau d'un Grand Chelem, il lui faudra passer par les qualifications anonymes, les petits tournois impersonnels, affronter l'individualisme d'un milieu faussement lisse, se soumettre aux plans impitoyables de ce coach inhumain. L'adolescent gagnera ses premiers tournois avec des valeurs délétères, jusqu'à les abandonner ainsi que leur inspirateur pour des défaites lui redonnant visage humain. Entre survivalisme, dérive sectaire et poésie, seul un lob du destin lui permettra de muter pour accepter son état et s'inscrire dans le temps.

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6 septembre 2015 7 06 /09 /septembre /2015 20:57

Cet article est reposté depuis Editions de l'Abat-Jour.

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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 09:45
Badiou, la rupture en bandoulière.

En parcourant Le séminaire d'Alain Badiou, "Heidegger, l'être 3- Figure du retrait- 1986-1987", Editions Fayard, 2015, l'on constate rapidement qu'une des vertus de cet ouvrage dense et accessible, synthétisant le séminaire de Badiou, période 86-87, est d’insister sur l’importance de la poésie dans ce monde ravagé par le capitalisme mondialisé :

« D’abord il est bien clair que la poésie est un art et que, à ce titre, elle est une condition de la philosophie. La grande poésie est toujours une procédure générique, elle produit des vérités. Je ne nie donc pas que la poésie soit une condition de la philosophie, elle l’est, de façon spécifique, de façon essentielle. Je dirais même qu’il est probable que, parmi les arts, la poésie est la plus conditionnante, car c’est un art de la parole, qui fonctionne avec le même matériau que la philosophie elle-même. Il existe des époques entières où la poésie accomplit une fonction de la pensée, qui, rétroactivement, apparaît comme décisive, même en l’absence de la philosophie. Je pense à la période 1870-1890 en France. Il n’existe rien dans la pensée qui vaille, même de loin, Mallarmé ou Rimbaud. Il y a donc certainement des époques où les poètes sont littéralement insubstituables. C’est le cas quand il s’agit de circonstances historiques écrasées ou asphyxiées. Au lendemain de la Commune de Paris, il est vrai que ce sont des poèmes qui concentrent ce qui survit de la pensée. » P.34

Pour Badiou, l’immanence normative oriente la pensée, règle le régime de ses assertions, son Court traité d’ontologie transitoire développe ses positions en matière de conditions de connnaissance, où l’on voit que pour lui, le réel s’appuie sur un point impossible.

Préoccupé de cerner les points de singularités historiques, il convoque régulièrement le caractère inaperçu de la langue, sa part d’innommable, d’indécidable, en quête de l’événementiel vrai.

L’ontologie de Badiou se fonde sur une approche mathématique du réel, ce qui induit quelques gouffres d’impensé dans son système, concernant ce qui ne relève pas du mathématisable comme la pensée, les sentiments, la nature des orientations existentielles, bref, les sphères du subjectif et du transcendantal, car si l’ontologie mathématique de Badiou se prétend auto-suffisante, elle ne semble pas toujours éviter l’écueil d’une base d’affirmation parfaitement arbitraire, même si elle plaide pour une correspondance entre mathématique et ce « monde, ensemble vide »,

La prétention de véridicité ne semble pas toujours animer le travail de Badiou, qui égrène son ouvrage pourtant captivant de sentences mi-poétiques mi-café du commerce dont le florilège suivant peut donner un aperçu: « A minima, être français, c’est s’interroger sur cette énigme » (quant à la période de la collaboration). P.72

Non, on peut l’être sans s’arrêter sur un point ou l’autre de l’histoire, voire ne jamais s’arrêter sur l’histoire.

« Si la pensée que seul un Dieu peut nous sauver devenait, pour notre malheur, l’attente du siècle, on verrait évidemment surgir l’abîme sanglant de la guerre. Non seulement l’attente est inexacte, mais elle périlleuse et néfaste, puisqu’il faut qu’elle soit comblée. Le désastre est le seul Dieu que nous connaissons, à savoir l’abîme de la mort. » P.27

Les 100 millions de morts du communisme subissaient pourtant un régime n’attendant pas le retour d’un Dieu. Bien au contraire, il prônait comme Badiou, et à la suite de Nietzsche, la mort de Dieu.

Il ajoute de façon à proprement parler mystique : « Car Dieu n’est pas en état de traverser sa propre mort, pour la raison que, dans le christianisme, il était déjà mort une première fois. L’annonce nietzschéenne est définitive » P.39

On a envie d’ajouter Amen tant cette assertion est tout simplement ridicule, en s’appuyant sur une tradition visant justement la résurrection.

Badiou exclut par avance toute pensée religieuse, toute philosophie qui aurait désormais pour terreau un fond religieux, il tient à ce que la liste des conditions de la pensée soit close et seuls l’art, la science, la politique et l’amour(!) ont droit de pénétrer ce petit club des procédures génériques de sens selon ses critères restrictifs.

Je vais devoir retirer de mes étagères « Transfigurer le temps, nihilisme, symbolisme, liturgie », de Geneviève Trainar, puisque ce type de pensée n’existe pas. Ce sera dur.

« Un temps peut bien ne pas se penser, faute d’être constitué de telle sorte qu’il y ait une configuration adéquate des conditions de la philosophie » (l’art, la science et la politique pour Badiou). P.15

Quid des cultures païennes qu’il nomme « très archaïques » (à savoir sans État) ?

Elles n’ont pas le droit au statut de pensée pour Badiou. J’affirme que les hommes de Lascaux pensaient autant que Badiou leur monde propre.

Nonobstant ces affirmations gratuites, dont le régime dialectique relève plus du coup de marteau nietzschéen que du dialogue platonicien, comme libéré de toute volonté de probation, le séminaire de Badiou, période 1986-87, est une somme de fulgurances passionnantes, passant en revue Parménide, Platon, Kant, Rilke, Pessoa, Trakl, Hegel, l’inévitable Heidegger, Celan, et Descartes, Wittgenstein, Lacan, Saint Paul, Beckett, Gödel, Empédocle, Gorgias, Deleuze, Démocrite, Althusser, Leibniz, Husserl Hölderlin, Héraclite, Zénon d’Élée, comme autant de prétextes pour plonger dans une théorie axiomatique du Sujet, s’interroger sur la notion d’antiphilosophie, ainsi que sur les notions de « vivre », ou encore de « changer de monde ». Comme souvent, il explore les conditions d’apparition d’une pensée, celle du temps. De son temps. Badiou confirme être un adepte de l’énonciation philosophique comme rupture, engageant son humanité et celle du lecteur vers de nouveaux chemins qui ne mèneraient pas vers un nulle part dépréciatif mais bien révolté, faisant retour vers le plus originaire du possible humain

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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 13:15

« Où sommes-nous lorsque nous sommes dans le monstrueux ? » Peter Sloterdijk. Bulles. Fayard/Pluriel. 2010.

Lost River Un sous Détroit, terrain de basket abandonné comme cadre d’enfance, où l’on s’entraîne à réparer l’irréparable, car ici, tout est à vendre, liquidation totale, une zone sans avenir. Un lieu censément à quitter pour Bones, dès que le moteur sera en marche. Tout est mélangé, le cuivre, les vélos enflammés, des voleurs hirsutes, la rapacité des repreneurs, les lampadaires noyés par un lac aux allures de monstre charriant les gravats d’un passé résigné qu’il faudra déloger. La crise, les plaignants ne l’acceptent pas, mais leur charabia larmoyant n’émeut plus ceux qui sont chargés d’en assurer la réalisation finale. Ces derniers sortent le soir se changer les idées dans des théâtres aux entrées de gueule démoniaque, où des femmes en retard sur leurs traites tentent de se refaire une santé économique au prix de leur intégrité de pacotille. Les loups sont aux portes quand la misère gagne son terrain de poussière. Ils tentaient alors de vous convaincre que vous n’êtiez pas ce que vous faites, histoire de maquiller la chute des compromis en obligation non négociable. Mais c’était sans compter

les fils attachés à leurs mères, les nuits enflammées de résistance, la destinée dont les contours sont inconnus tant qu’ils ne s’encastrent pas dans la peau comme une lacération commandée d’en bas. Chaque individu portait une torche de désir dont la lumière vacillante faisait paraître encore plus grandes ses possibilités de vie, que le premier venu pouvait s’évertuer à réduire en les déconsidérant, et se bien conduire, c’était ne pas s’interposer dans quoi que ce soit relevant de l’autre, ce qui ne coulait pas de source pour Belladonna. Dave, torve et suintant d’opportunisme macabre, examine cette mère de famille esseulée et susceptible d’expulsion, percé d’une lueur libidineuse et inquisitrice, semblant se dissoudre dans les nuées qui s’enfilent au fond de la vallée, maîtresse d’eau et d’humus entrouvrant déjà sa bouche de lierre et de fougères pour les avaler à tout jamais, en un bouche à bouche d’immanence féérique, mauve, jaune, blanche et cramoisie. Ici et maintenant, ils pourraient converser intelligemment avec le monde végétal, un fauteuil faussement royal juché sur une décapotable de tueur psychotique défilant dans la nuit. Tellement d’attente, en laissant de côté les grandes extases de la vie intra-utérine, pour connaître cet état de perfection amniotique consistant à se savoir propriétaire terrien. Aucune objection ne devrait résister face à leur désir de se maintenir sur des terres pourtant déchues et maudites, le fixisme de la zone exprimant très adéquatement la caractéristique de leur être profond. Studieux, les gens d’ici, ceux qui restaient, sans doute moins d’une centaine, avaient toujours cette physionomie et cette mentalité de Far West, diffuse, acérée, maigre, hurlante, contredite par la puissance sourde venue des sols, que rien ne soumettait à quelque figure tutélaire autre que celle des éléments premiers. Une morale de ravin, de torrent qui traverse l'empire des habitudes régulières. Un système empirique de veines et d’artères droites et légères, semblables à celles de leurs aïeuls, observables en tout point, capables de répondre aux horreurs les plus contagieuses par leur impassible affirmation, ouvrant béante, un aperçu sur l’inconcevable. La vallée les acquitterait de l'obligation d’un quelconque paraître plus ou moins stérile dans leurs nouvelles existences, à nouveau justifiées par le sang versé et le refus armé d’une asphyxie trop bien programmée.

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3 mars 2015 2 03 /03 /mars /2015 16:11
La petite profanation médiatique.

Le précipitement vers l’évocation barbare des faits divers qui s’étalent dans une banalité assignée à une angoisse collectivisée ne provient pas de nulle part. Il est le résultat d’un capitalisme qui absolutise chaque accident, chaque folie privée, en leur conférant une valeur marchande rentabilisée par sa médiatisation dépossédée de toute déontologie responsable. La structuration de ces nouvelles s’organise autour du principe de l’exposition. Tout s’expose, et chacun est sommé de devenir spectateur de l’insigne. Une starlette peint son chat en rose qui en meurt, un cousin viole sa soeur avec le chien du grand-père, une actrice se pend après avoir consommé de la vodka, on retrouve une tête dans un frigo, un enfant dans une poubelle, dix voitures brûlées, affrontements autour de stades, dégradations de sépultures, clips de surenchère vulgaire, qu’importe, le tout est de retenir l’attention, acheter du temps de cerveau pour des gens que l’on enterre avant même leur mort effective. Le défilé obscène de ces prétendues informations qui n’informent rien sinon l’état d’abrutissement organisé d’une société farcie d’ennui renseigne sur la volonté des instances économiques de maintenir dans cet état d’hallucination passive des masses ainsi contrôlées, anesthésiées, fondamentalement terrorisées.
L’invocation profane de ces agences d’information vise l’intérêt des sens, et pour ce faire, se vautre dans une parodie de film d’horreur, parée d’une objectivité faussement éthique.
Ils rendent compte de ce qui advient, dans une cour, une rue, un immeuble, comme si cela concernait le destin d’un peuple. L’être au temps présent, stationnant débile, dans le reflet d’une pseudo actualité décidée par des financiers s’enfonce dans la profanation de la raison.
Le vagabondage cérébral induit par l’afflux permanent des médias vomissant leurs infos-fragmentations continues visant primitivement à se faire remarquer, en une monstration monstrueuse, débouche sur une observation stupide de faits qui ne concernent de fait personne hormis les victimes et leurs entourages immédiats. En s’emparant de ce qui devrait demeurer dans des sphères privées, en prétendant que cela concerne une attention collective, l’on légitime une excitation à reproduire de tels agissements, histoire de gagner le droit d’entrer à son tour dans le cyclone de cette actualité factice.
Aucune manifestation révélante, un simple vomi de contingences se voulant explicites, dont l'implicite invite à la condamnation, l’indignation, l’identification pavlovienne, le dégoût, le jugement, tout un monde de réaction, d’interaction subjective alimentant forums, agoras désincarnées, assurant la perpétuation parasitaire dudit flux. La défécation du factuel, en un bruissement informe de faux signes visant à brouiller la raison, lui interdire l’accès à sa propre souveraineté, s'appuyant sur ses bases subjectives, affectives, irrationnelles. L’expérience des faits est rendue impossible par ce visionnage du monde, et de fait, les citoyens se comportent en spectateurs de l’ignoble, filmant ces faits assez peu divers, n'intervenant que rarement, apeurés par leurs propres ombres. L’autel de la religion capitaliste est un écran interactif, formant ce vortex médiatique qui avale toute authenticité dans son irradiation colorée, sa formulation chatoyante et tournoyante de ce chaos qu’il met en scène à la vitesse de la lumière faisant mouche. L’insignifiance constitue sa ressource première. L’inaptitude pratique du consommateur à pouvoir intervenir autrement qu’en un déluge de réactions émotionnelles permet à ce cirque virtuel d’étendre sa toute-puissance sans la moindre opposition.
L’appareil logique est littéralement déphasé par ce règne là, incapable de glisser un dés-aveuglement qui serait pourtant de salubrité publique. La richesse de pourvoyance en « infos » est infinie, comme un concierge qui noterait chaque passage de chaque voisin sur un calepin, en notant les tenues, leurs couleurs, le timbre de la voix, qui est avec qui ce soir, la vie de l’immeuble réduite à des notes factuelles retransmises sur grand écran. Seule une action distanciante, voire dissolvante, de ces médias délétères, qui se dédoublent en parodies d’eux-mêmes via des sites de désinformation ludique aussi vains que leurs grands-frères, formant un mixte de vrai-faux schizoïde et crédible, ouvre un horizon à la conscience aspirant aux visions non fécales. Il faut poser un voile sur cette découvrabilité délirante, révélation pré-éclose de toute insignifiance, un voile de pudeur et d’intelligence, sur ce hochet pré-consommé de crétinerie facilement assimilable, un voile de connaissance et de spiritualité, un voile censurant ce déluge de pourriture infra-humaine de consécration informe. L’information mainstream est équivalente à ces jeunes gens qui fracassent des centaines de tombes sans vraiment savoir pourquoi, histoire de « visiter des lieux abandonnés ». L’information occidentale visite elle aussi la vie de ces cités comme ces jeunes de Sarre-Union, dans la stupidité et l’ignorance futile.

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27 février 2015 5 27 /02 /février /2015 10:57
L'integrisme occidental

Le moralisme progressiste, égalitariste, matérialiste, faussement laïc et universaliste, s’avance violemment aux quatre coins du monde, paré des ailes du pacifisme, dans un premier temps d’abord. Quand le bombardement médiatico-politique ne suffit pas, ce sont pourtant des bombes bien de chez nous qui pleuvent assez rapidement sur les peuples récalcitrants, les prétextes ne manquant jamais, et à défaut, on finit par les inventer. L’idéal technocratique, individualiste et au final nihiliste (à savoir refusant toute idée de transcendance authentique) sous-tendant l’édifice occidental, se déverse à travers tous ses vecteurs communicationnels, unis dans une même haine du fait religieux ainsi que des modes d’organisation ne se soumettant pas au joug de cette influence infatuée se voulant sans bornes ni interdits.

À l’occasion de l’affaire « Charlie » (une tuerie qui n’aura qu’à peine retenu l’attention dans des dizaines de pays déstabilisés par nos multiples ingérences, et où meurent lors d’attentats à peu près quotidiens des centaines de civils), l’on a pu observer le plus absurde recours à une terminologie relevant du sacré : «

"Charlie Hebdo" et les caricatures : le blasphème est un droit sacré, il doit être garanti », « l’union sacrée », « droit sacré ». Pourtant, notre humanisme ne repose plus que sur un magma informe, matrice virtuelle athée ou plus sûrement indéterminée, débordante de présupposés mollement bienveillants, totalement étrangers à l’humanitas grecque, qui était plus qu’éloignée de quelque déterminisme profane que ce soit (génétique, économique, racial ou culturel), et s’est avérée être la fondatrice de cette civilisation européenne happée qu’elle est par son anomie contemporaine. Cette source historique se reliait de façon indissociable au DIVIN. De quel idéal, de quel esprit, les quelques millions de français descendus dans des rues hagardes, le 11 janvier 2015, se voulaient les défenseurs ? Du droit de rire de tout, de la liberté d’esprit, du droit de blasphémer. En somme, du droit à la frivolité, au jeu innocent.

Rire de tout, liberté d’esprit ? Tartuffferie ! Le lendemain même de cette marche citoyenne, un humoriste était traîné DEVANT des tribunaux pour une blague ambivalente et plus d’une cinquantaine de citoyens étaient emprisonnés pour délit d’opinion.

Le « terrorisme » s’accorde parfaitement avec la société du spectacle en une synesthésie totale, happant les masses dans une réaction spasmodique et névrotique sans profondeur ni distanciation, via une passivité totale, dont l’indignation pavlovienne élude toute possibilité de réflexion, comme ces automates télévisés revêtus de perfection factice dans leurs uniformes adaptés aux lanceurs d’odes et de sermons frelatés, toujours prodigues en dénonciations embaumées, sans la moindre capacité de déconstruire ce qui a mené au surgissement de ce qu’ils nomment barbarie.

La réaction identitaire, visant un réenracinement multiforme, allant du régionalisme au catholicisme en passant par un pur nationalisme étatiste sur fond de rejet islamophobe et ethniciste ne rompt en rien avec ce processus de dépossession symbolique. Elle n’est que négation, rejet, refus, dégoût, lassitude, révolte tournant

à vide, exaspération économique, sans projet, sans vitalité, dépourvue d’une santé et d’un AVENIR la véhiculant.

L’ingénierie sociale passe par le tri des humains, la sélection eugéniste, le clonage, l’information totalitaire, car telle est notre actualité, celle de l’ère techniciste qui a réussi son araison totale des consciences en un management SUBLIMINAL dont l’obscénité marchande s’accorde au mieux avec les pratiques de l’industrie pornographique, dans le couple excitation-consommation à la base de tout l’édifice occidental.

Nos libertés sont celles que des think tank fournissent à notre insu, prônant des choix d’artifices, visant la redéfinition des ultimes pôles identitaires naturellement organiques, familiaux, sexuels, pour nourrir un immense laboratoire de sélection contre-nature, de répliques involutives allant des OGM aux manipulations sur les embryons humains. Le génie génétique, c’est le viol de l’ADN au service d’un biopouvoir aveugle à ses PROPRES apories, indifférent à la dévastation de l’écosystème (hormis via des conférences internationales débordantes de duplicité). L’intégrisme occidental, c’est tout cela, et dans le même temps, la volonté d’imposer ces redéfinitions trans-genres, ce biologisme indéfiniment progressiste, cette marchandisation de tout, du moindre organe au dernier album musical, faisant du monde un marché où se servir, des rues, des femmes, de la violence et des jours un almanach d’options factuelles à consommer, du jeunisme à la féminitude.

Nos Jihabs présentent cinquante nuances grisâtres ouvrant sur des jeux faussement masochistes mais réellement rentables, nos libertés sont des godemichés en formes de jouets pour bébés, du transhumanisme larvaire, un cyberespace hypnotique, des partouzes du FMI aux transes ahuries sous bières devant des clubs de football pour mercenaires décérébrés diffusés sur des écrans de vacuité. Nos libertés sont des caméras de contrôle au service d’une vidéosurveillance généralisée bientôt complétée par des Drones légalisés, des pointages, des gsm, des ondes Wifi, des filtrages, des traçabilités de tous les instants, des CARTES bancaires, du marketing politique, des marques imposées à la vue, un monde de publicités souillant jusqu’à l’inconscient, une novlangue imposant ses ukases, ses interdits du jour (« dérapages », « vivre ensemble », « respect », « tolérance », « différence » et autres coquilles vides chargées de réguler les moeurs et les humeurs), ses transgressions imposées, des codes faits sur mesure par un patronat et des élites culturelles déconnectées de tout éthos, formant un immense consortium de falsification du réel, hostile à toute forme d’intériorité sommée de s’ouvrir au règne d’une transparence aux influences tentaculaires, un atomisme communautariste facilitant les divisions et le contrôle des masses, en bref, une immense aliénation collective qui ne dit pas son nom. Si, reste le droit au blasphème.

Mais sans la moindre orientation spirituelle, sans la moindre éducation religieuse, que peut-il rester d’un blasphème sinon son ombre dédoublée la plus primitive : la profanation. Que faire ? Réétudier, et ce, dès le cours primaire, le Coran, la Bhagavad-Gîtâ, la Bible, les Psaumes de David, Le Livre des Morts, Homère, étudier les racines du chamanisme, de l’antiquité qu’elle soit latine ou égyptienne, étudier toutes les traditions qui ont fondé ce que l’on nomme civilisation plutôt que s’indigner, comprendre plutôt que juger, s’éveiller plutôt que s’endormir DEVANTla nouvelle star, le dernier homme.

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11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 17:16
Toute ressemblance avec ton pays.

« Car dans un chemin assailli par ceux qui luttent, d'un côté pour une trop grande Liberté, de l'autre pour une trop grande Autorité, il est difficile de passer entre les coups des uns et des autres sans être blessé . »
Thomas Hobbes. Léviathan. Folio.

Les roches soutiennent une impermanence d’airain abritant des lacs non moins impassibles, quelques barques fracassées hérissent les rivages. Ici, ce pourrait être chez toi, car la loi qui y règne est universelle : celle de l’arbitraire le plus aveugle. On fume pour éviter l’endormissement, la police fait du zèle dès l’aube, tout en comptant sur quelques menus services promis par quelque garagiste alcoolisé pour passer l’éponge sur les fautes des uns et des autres. Un donnant donnant pointé vers le bas fait le reste. Toute velléité d’honnêteté fait s’esclaffer les environs. L’avocat aux abois chargé de défendre son client menacé d’expropriation illicite par un édile aussi sain qu’une caisse de cachalots abandonnée depuis 6 mois en bord de Baltique invite à la prudence, au respect de la procédure, après tout, ce ne serait pas joué. On a besoin de ce terrain pour y installer de grandes choses qui ne serviront qu’à flatter la vanité des ecclésiastiques et des maffieux du coin. Autant dire tout le monde, sauf la famille esseulée en question, dont la masure établie de leurs mains ne représente plus qu’un tas de bois encombrant pour ces promoteurs de l’iniquité. Un terrain faisant l’objet d’un litige, une occupation de fait pour les uns, les autres diraient : « territoire disputé ».
Que valent ces bouseux sous Vodka face à une telle vision de centre de télécommunication grandiose, qui devra valoriser la plaine désertifiée ? Après tout, la saisie prévoit bien de leur refiler 639 000 roubles, hum, pour 27 hectares, ça vaut leur silence. Pourtant ils en réclament plus, et veulent faire valoir leurs droits auprès de procureurs achetés, qui jugeront que leurs recours sont invalides, que les concernés ont été prévenus dans les temps, alors que non, mais qu’importe, la vérité n’est plus celle des faits ni des documents, ici, c’est la puissance de l’argent qui décide. La cour délibère, avec sa force exécutoire de glace, l’expropriation doit s’accomplir, au nom du rien. Les hommes en robe et barbes, chargés de dire la parole d’en Haut, approuvent, toutes ces négociations n’ont que trop duré, il faut parachuter des huissiers, cela conviendrait à Dieu. Acculer les récalcitrants, au besoin les arrêter illégalement, provoquer, refuser les plaintes, ils n’avaient qu’à pas chercher. Prendre leur fric et se tirer. Pourtant, il serait envisageable de provoquer une véritable guerre à toute la ville éteinte sous ses friches. Ce serait techniquement possible. Voire éthiquement. Des troubles à l’ordre public qui prendraient enfin corps et légitimité, devant le flot des arrestations abusives et autres bulldozers-mammouths écrasant les habitations et leurs couleurs de vies passées. Le droit c’est comme certaines femmes, au début c’est joli, puis ça glisse du pourri dans la tête. Ici ou ailleurs, c’est le même règne élitiste, fondé non au mérite mais par la corruption. Des juristes naïfs croient encore aux règles, aux faits, aux documents, aux articles de lois, mais c’est le silence et l’indifférence morne qui leur répondent. Dans un an, ce sera les municipales, l’édile doit être réélu, et les flics sont ses employés, ils ont tout intérêt à faire dégager l’impétrant, il en va de leur condition. Même si leurs secrets de feux de bois pèsent lourds dans la balance. En théorie, ce qui n’est pas prouvé doit profiter aux accusés, et inversement. En pratique, c’est le contraire. Qui prendra le Léviathan avec un hameçon sans mépriser ce qui le dépasse ? Toute ressemblance avec ton propre pays serait radicalement fortuite.

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11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 17:09
Hadewijch, Conjugaison des prières.
Fille en bleu, Céline, qui traverse la forêt en reniflant, longe un monastère tout en sobriété, s’immobilise, repart. Lapin fusant en diagonale, soupir. Des ouvriers s’activent autour d’une grue orange, installant des palettes, sifflotent pendant qu’elle prie devant son lit à couverture marron. Encadrée de religieuses, elle se rend au déjeuner. « Puis j’ai entendu une voix terrible et inouïe me dire comme une apparition ...», « vois qui je suis », « je vis comment chacun doit être mis à sa place », « et pourquoi certains s’égarent et ne reviennent pas, et comment certains paraissent errer mais ne se sont pas écartés de lui un seul instant ».
La fille porte un modeste bandeau dans les cheveux, boude son lait, elle doit rester ferme, sans recevoir de consolations, pourtant Il lui manque. Plus elle tente de le trouver, plus la faille grandit. Une religieuse parée d’un voile blanc la scrute, perçoit sa distance, « tous ces modes d’être, je les ai reconnus dans sa face », « dans sa main gauche j’ai vu l’épée qui donne la mort, puis j’ai vu l’enfer et l’ensemble de ceux qui l’habitent pour l’éternité. »
Pommes, croissants, la table est mise, langueur des heures, insolubles. Tout débarrasser. On veut lui parler. Elle ne mange plus, fait abstinence, dédaigne le pain offert pour l’offrir aux oiseaux de passage, des filets de larmes traversent ses joues diaphanes. Un ouvrier l’observe tout particulièrement. Les mères aussi. Sa mortification inquiète, elle semble déphasée, précoce, hirsute, désespérée. Un amour de soi déguisé. Elle doit retrouver le monde, elle qui refuse les règles, les protections, les guides, les vœux, il faut la rendre au monde, aux garçons, au hasard, à sa solitude. Le couvent l’y rejette. Le leurre ascétique cesse. Plus de parole parfaite, d’harmonie installée, retour à la froideur de cette famille de haut rang, perdue dans un duplex de l’Île-St-Louis. L’ouvrier du couvent est embarqué, c’est l’application des peines qui est venue le retrouver. La fille retrouve son sac en bandoulière bohème, son père parfaitement froid et politique, le chagrin des longs couloirs et du faste évidé. Zone au bar du coin, accostée, on lui demande ce qu’elle fait dans la vie, de la théologie elle répond, c’est bien, et son pendentif, ça dit quoi, elle croit en quelque chose ou quoi ? Oui, c’est bien, faut croire en quelque chose, sinon, ça lui arrive de rigoler ou d’écouter de la musique ? Parce qu’il y a un concert ce soir, ce sera plus branché. Concert d’accordéons, platanes, la Seine en contrebas, une énergie nouvelle, la bande l’apprécie, surtout lui, qui s’approche et dérobe ses lèvres, elle se détourne, que Dieu soit avec elle et son chien, c’est tout ce qu’elle veut. Elle se couche nue, rasée de près par la lumière du jour encore loin de s’éteindre. Elle feint d’attendre les résultats de ses examens, impertinente et fière, voulant vaincre l’amour, le faire sien par effraction, roucoule et pleure en écoutant un orchestre répéter dans la chapelle du quartier, esquisse un sourire, douceur qui farde ses paupières, klaxons au loin, échappés du tumulte qu’elle oublie.
S’il veut, c’est d’accord, à ce soir chez elle, présenter ses parents, c’est 17 quai d’Anjou, peut venir manger, dialoguer, le père est technocrate, il demande ce que le garçon fait dans la vie.
Un travail, une formation, quelqu’un qui se charge de lui peut-être ? Il vit avec son frère, oui, mais ça ne veut rien dire tout ça, autant sortir.
« Franchement c’est royal d’avoir un père ministre » il chuchote, mais « non, c’est un minable » elle répond, « un con », pourquoi ? Personne ne le sait, il croit qu’elle est en manque d’amour, c’est possible, mais pas le sien, un autre. Elle pleure encore, souvent, il vole un scooter, remonte à contre-sens le quai, direction le bar La Comète. Pourquoi le voler ? Parce que son propriétaire l’a « regardé bizarre » comme il le suggère, il s’est laissé emporter. Elle comprend, est même d’accord avec ça. Elle ne veut pas de copain, son chéri, c’est le Christ, elle ne veut pas de rapports, il comprend, il est d’accord, lui présente ses excuses pour le baiser d’avant, plus qu’à lui envoyer des textos.
Yacine va à la Mosquée, elle écoute le prêche, il en sort, la présente au frère plus aguerri, « asseyez-vous, je vous en prie », il anime un groupe de réflexion religieuse, c’est où, à quel propos, « demain il faudra réfléchir sur la notion d’invisibilité, elle traverse toutes les traditions ». Il la ramènera, à demain, salam. Il a la foi, le cours s’ouvre, sourate 6,72, le verset 27, lui-seul connaît le mystère qu’il confère à ses messagers. L’absence, le non manifesté, le caché, l’invisible, les attributs sanctuarisés, c’est dans son retrait qu’il est le plus manifeste, oui, on parle métaphysique ici, elle semble concentrée, un jeune la dévisage, le frère le sermonne, « qu’est-ce qui se passe ici ? On parle d’autre chose que des yeux du corps ! »
Comment Dieu peut-il être manifeste ? Dans ces buissons de HLM en forme de croix ? Elle geint à la fin, ne supporte plus d’être regardée, par des humains, par les autres, les autres que Dieu. Il lui manque. Il lui a fait comprendre l’amour, mais il y a son corps et ce monde qui lui font mal. Demeure une fêlure, un espace en trop, ils doivent se retrouver. S’il n’est pas absent, il est invisible, ne s’offrant que dans l’adoration. Elle rentre en scooter, scrute le ressac de la Seine, besoin de Dieu, pas d’un homme, Yacine pense qu’elle est fêlée, la lutte, l’action politique, c’est important, la violence est dans l’ordre des choses, il y a des innocents dans le monde ? Et bien elle est pour quelque chose dans ce qu’on inflige au monde. Mais elle a aussi l’épée contre cette injustice. Céline, c’est la lutte ici ! Ils sont ses soldats, et pourquoi pas ses martyrs ?
Barbelés sur ruines, elle est amoureuse de Dieu mais pas lui, retourne frôler son refuge monacal, c’est là qu’elle est née à elle-même, Hadewich. Elle est prête, il y a de la route à faire, ne plus rester là, plus rien à y vivre. Conjugaison des prières, agenouillés vers leurs dieux respectifs, qui n’en font plus qu’un. L’ouvrier du chantier religieux est sorti libre, après tout, il n’a pas tué, il va pouvoir reprendre la réfection de l’édifice.
Elle est en territoires occupés, les hélicoptères tournoient dans le ciel comme des guêpes excitées, prête pour l’action ascétique, enterrements de bambins à la hâte, elle doit voir avec ses yeux, voir l’humiliation collective, la blessure. Agir au combat, Dieu l’a guidée, en lui et par lui, au regard de sa vie et de sa loi, elle ira au bout. Pour qu’il puisse vivre parmi tous. Elle croit en sa lumière, en son action, par amour, il l’a ravie, l’a choisie ainsi qu’elle est faite, elle lui appartient, elle fera tout ce qu’il faut.
Retour à Paris, direction Nation, l’éternité se diffuse dans ses synapses, l’attentat fut bien peaufiné, l’arc-de-triomphe enfumé atteste de sa détermination.
Ciment sous la pluie, Céline contemple le rideau de ce ciel liquide rigoler par la fenêtre, sur un corbeau tétanisé, elle tremble, elle, une sœur et l’ouvrier. Les gendarmes souhaitent lui parler. Elle cherche à s’enfuir, l’homme de chantier laisse sa truelle plantée dans l’humus et part la retrouver, bruissement d’air sous l’eau, elle tente de se noyer, des bulles à la surface, le sort de la vase est en action, il la hisse sur la berge. Content, car elle lui tient le cou. L’échafaudage attendra, la prison avec."
Extrait de "Chroniques subjectives du cinéma contemporain".
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