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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 11:59

 

Extrait :

 

 

Tout humain a besoin d’espérance, de connaissance, de rêve, et c’est la mission centrale du cinéma que de répondre à ces attentes vitales.

Un bon film raconte le monde et réalise un processus de réverbération chez le spectateur : il lui permet de se distancier de sa propre existence tout en s’en rapprochant. Si loin, si proche, l’objet filmique peut stimuler l’empathie, la sensibilité, l’imaginaire et parfois la lucidité. Nous gardons toujours  des souvenirs vivaces de nos premières expériences dans les salles obscures. Notre passé s‘organise souvent autour de ces souvenirs, permettant au présent de prendre un élan différent, enrichi d’autres visions, d’autres perceptions du monde.

Sans narration, l’esprit humain perd son sens de l’orientation, et face au chaos du monde, pouvoir se retrouver dans une histoire revient à s’éclairer comme les anciens auprès des mythes.

Un grand film confère à l’existence de nouvelles sensations, de nouvelles directions possibles. Il permet d’envisager autrement son propre positionnement mondain, ses propres attentes, dont il sait redessiner les contours de façon souvent inconsciente.  Qui, en sortant d’une séance mémorable, n’a pas ressenti ce flot d’images faisant l’effet d’une fontaine de jouvence, se retrouvant comme enrichi de mystère et d’enthousiasme ?

Le but de cet ouvrage est de restituer cette sensation, d’ouvrir l’appétit du lecteur pour partir ou repartir à la découverte de ces continents oniriques  que sont les œuvres des grands cinéastes.

Le cerveau humain est dynamique et plastique, les perceptions qui en découlent également, mais encore faut-il alimenter cette machinerie cérébrale de magie et d’ingrédients de qualité pour lui assurer un enrichissement durable. Les chroniques qui suivent, vous  procureront, je l’espère,  un menu diversifié et attractif pour ce faire.

 

Certains esprits chagrins pourront se demander en quoi des fictions peuvent influencer favorablement le réel et pourquoi s’attarder sur des films marquants, alors que le monde environnant est le plus souvent à feu et à sang ? Je leur répondrai tout simplement parce que les faiseurs de l’actualité, qu’elle soit locale, nationale, ou internationale, ont régulièrement recours aux techniques du cinéma, à commencer par la mise en scène, à la psychologie de la perception, aux arrangements, à la scénarisation du tragique, à l’excitation des peurs, désirs, ressentiments et autres obsessions, via des dispositifs filmiques instrumentalisant la subjectivité spectatrice, et qu’il vaut mieux  continuer de se rendre au cinéma pour y découvrir « d’authentiques fictions » qui s’assument dans leur volonté de distraction première. Alors, un faux raccord, un faux direct, des dialogues artificiels ou non, demeurent au final de simples aléas techniques émaillant des tournages que l’on espère ludiques, et non des tentatives de propagande subliminale. L’idéologie n’est toutefois pas toujours absente de ces créations innocemment présentées comme divertissantes mais tel n’est pas l’objet de ce livre que de la traquer.

Quel que soit le genre auquel appartient un film, qu’il soit  d’horreur, de fantastique, de comédie, d’auteur, qu’il bénéficie d’un gros budget ou non, l’expérience de transcendance émotionnelle peut se déclencher via tout projet, y compris de qualité moyenne. Elle dépend de nombreux facteurs, dont le plus important est la réceptivité psychique du spectateur.

 

Si le cinéma est avant tout, comme le considérait Deleuze, « la mémoire du monde », et « l’espace de tous les possibles » selon Lukàcs, alors, que faire de jugements à posteriori sur la consistance et les qualités présentes ou non d’une manifestation essentiellement magique ? À savoir dépendante de milliers d’interactions échappant au domaine strictement rationnel, mais s’appuyant sur des contextes émotionnels, culturels, économiques, politiques, sexuels, temporels et donc métaphysiques, si variés, hétéroclites et contradictoires, qu’ils ne peuvent faire l’objet d’un avis, au sens strict du terme, sans passer à côté d’une part significative de leurs contenus respectifs.

C’est pourquoi cet ouvrage ne s’inscrit pas dans une démarche critique. Il vise assez ambitieusement à transmettre cette capacité transcendantale tapie régulièrement dans les films, à en retirer la quintessence, qu’elle soit romantique, hédoniste, divertissante, nihiliste, futile ou métaphysique. Et à plus long terme, réaliser combien de simples films peuvent modifier votre point de vue sur la vie et cette dernière par la même occasion.

 

 

 

Amour fou

Bouquet de jappements, Kleist est invité, on donne un récital traitant de marquises engrossées, qui ne peuvent plus aimer, de violettes dans les prés, qui s’inclinent devant des parterres de gens bien mis.

La tristesse s’insinue dans sa chair, c’est toute la vie qui le blesse, de sa lumière à ses distractions, rendant son présent sans charme et son avenir opaque. Il y a parfois tellement de différence entre ce que l’on dit et ce que l’on veut, comme ces gens qui pensent vouloir vivre mais ne font que mourir. L’on devise à propos des Républicains et des Démocrates, qui ne manqueront pas de saccager toutes les valeurs et l’ordre de la Prusse féodale. Il cherche cette fille qui souhaitera mourir juste pour l’accompagner. Il a peur de le faire seul. Car de romantique, il n’a que la tenue. Le servage, c’est l’amour.


Kleist se réjouit de ce qui n’existe pas. Il hésite entre Marie et Henriette pour cette issue d’importance. Il faut qu’elle soit comme lui, sans amis, sans attente, appréciée de personne, se passant déjà de tout. Une étrangère au monde en somme. Une fille à inflammation, qui imagine aussi fortement sa vie qu’elle ne la vit, à tel point que ses rêves et ses jours se confondent, ce sera difficile à décrire, encore plus à assumer. Même l’examen des urines ne peut dévoiler le mystère d’une telle souffrance, méticuleusement négative, pleine d’alanguissements et autres évanouissements sans cause organique. Alors on se demande si elles sont malades, ces prétendantes à la cour d’un poète parfaitement égocentrique et fat. Cela leur gâche l’humeur, ainsi que celle de l’entourage. Les gens bien mis. Ils n’aiment pas toutes ces passions stériles. Ce qui compte, c’est de ralentir le train de toutes ces réformes proposant l’impôt pour tous en échange de plus grandes libertés. Mais lesquelles ? Les magnétiseurs n’y peuvent mais. Et même si ce n’est pas une lésion, il faut des années pour comprendre ce dont il s’agit. Voire plus. Le parfum douceâtre des fleurs et du quotidien fané emplit le soir de ces femmes qui ne couchent plus avec leurs maris depuis bien longtemps. Une peur indéfinie rôde autour de leurs faits et gestes. Et si toute leur existence n’était qu’une erreur ? Tumeur incurable, saignée, camomille, pas de coït, se ménager, grand air, la meilleure prescription avant d’en finir. Autour d’elle, on continue de tisser, de pianoter des airs vagues, il faut faire avec. Une fois condamné, on réalise tout ce qu’il fallait faire, comment il aurait fallu se comporter. Tout devient parfaitement clair. La noblesse résiste aux réformistes, on manque de fonctionnaires pour appliquer tous ces grands projets. Les autres trouveront leur place dans la vie, ils en seront satisfaits. Henriette et Kleist se sont trouvés au bon moment. Le dernier. Lui n’a jamais d’empêchements, seul le labeur des jours lui tient lieu de compagnie. Il cherche cette tête qui bruisserait de la même lassitude de vivre que celle habitant la sienne. Une tête balayée de vide. Kleist se rue sur l’une quand l’autre se détourne de son morbide projet, ces femmes sont sa roulette russe, désuète et insipide, intéressée. Une vanité ornée de mélancolie surjouée, l’égo concentré/dilaté dans ses mots. Mais une force étrangère est susceptible de commanditer toute leur destinée, et faire d’eux une simple somme de modestes marionnettes qu’ils s’évertuent à ignorer. Des cailloux perdus sur la chaussée, dispersés dans la neige de leur solitude. Quant à travailler leur bonté, leur douceur, ils n’auront pas trouvé le temps. Le chien comprenait. Les soldats, le ciel, tout suivrait. La Démocratie arrive, règne d’une cohorte d’aveugles dominant quelque minorité éclairée. Aucune altération organique n’expliquerait le geste final. Tout diagnostic confinait au faux.
Elle voulait une vallée sans affliction avec des primevères et du silence. Une brise sous laquelle il ferait bon être.

 

 

Amour fou est un film austro-germano-luxembourgeois réalisé en 2014 par Jessica Hausner, s'inspirant du suicide du poète Heinrich von Kleist en 1811. Le film a été présenté en divers festivals, dont celui de Cannes, dans la catégorie Un certain regard1.

Synopsis

Un poète, Heinrich, est désespéré de devoir mourir inéluctablement et invite sa cousine, peu enthousiaste, à vaincre - selon ses dires - cette inéluctabilité en se suicidant avec lui par amour. La jeune épouse d'un ami, rongée par une maladie mortelle, décide de relever sa proposition.

Fiche technique

  • Titre international : Amour fou
  • Réalisation et scénario : Jessica Hausner
  • Production : Coop99 Filmproduktion, Amour fou Luxembourg, Essential Filmproduktion
  • Photographie : Martin Gschlacht
  • Montage : Karina Ressler
  • Durée : 96 min
  • Sortie :
    • Autriche : 6 novembre 2014
    • France : 4 février 2015

Distribution

 

 

 

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