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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 13:15

« Où sommes-nous lorsque nous sommes dans le monstrueux ? » Peter Sloterdijk. Bulles. Fayard/Pluriel. 2010.

Lost River Un sous Détroit, terrain de basket abandonné comme cadre d’enfance, où l’on s’entraîne à réparer l’irréparable, car ici, tout est à vendre, liquidation totale, une zone sans avenir. Un lieu censément à quitter pour Bones, dès que le moteur sera en marche. Tout est mélangé, le cuivre, les vélos enflammés, des voleurs hirsutes, la rapacité des repreneurs, les lampadaires noyés par un lac aux allures de monstre charriant les gravats d’un passé résigné qu’il faudra déloger. La crise, les plaignants ne l’acceptent pas, mais leur charabia larmoyant n’émeut plus ceux qui sont chargés d’en assurer la réalisation finale. Ces derniers sortent le soir se changer les idées dans des théâtres aux entrées de gueule démoniaque, où des femmes en retard sur leurs traites tentent de se refaire une santé économique au prix de leur intégrité de pacotille. Les loups sont aux portes quand la misère gagne son terrain de poussière. Ils tentaient alors de vous convaincre que vous n’êtiez pas ce que vous faites, histoire de maquiller la chute des compromis en obligation non négociable. Mais c’était sans compter

les fils attachés à leurs mères, les nuits enflammées de résistance, la destinée dont les contours sont inconnus tant qu’ils ne s’encastrent pas dans la peau comme une lacération commandée d’en bas. Chaque individu portait une torche de désir dont la lumière vacillante faisait paraître encore plus grandes ses possibilités de vie, que le premier venu pouvait s’évertuer à réduire en les déconsidérant, et se bien conduire, c’était ne pas s’interposer dans quoi que ce soit relevant de l’autre, ce qui ne coulait pas de source pour Belladonna. Dave, torve et suintant d’opportunisme macabre, examine cette mère de famille esseulée et susceptible d’expulsion, percé d’une lueur libidineuse et inquisitrice, semblant se dissoudre dans les nuées qui s’enfilent au fond de la vallée, maîtresse d’eau et d’humus entrouvrant déjà sa bouche de lierre et de fougères pour les avaler à tout jamais, en un bouche à bouche d’immanence féérique, mauve, jaune, blanche et cramoisie. Ici et maintenant, ils pourraient converser intelligemment avec le monde végétal, un fauteuil faussement royal juché sur une décapotable de tueur psychotique défilant dans la nuit. Tellement d’attente, en laissant de côté les grandes extases de la vie intra-utérine, pour connaître cet état de perfection amniotique consistant à se savoir propriétaire terrien. Aucune objection ne devrait résister face à leur désir de se maintenir sur des terres pourtant déchues et maudites, le fixisme de la zone exprimant très adéquatement la caractéristique de leur être profond. Studieux, les gens d’ici, ceux qui restaient, sans doute moins d’une centaine, avaient toujours cette physionomie et cette mentalité de Far West, diffuse, acérée, maigre, hurlante, contredite par la puissance sourde venue des sols, que rien ne soumettait à quelque figure tutélaire autre que celle des éléments premiers. Une morale de ravin, de torrent qui traverse l'empire des habitudes régulières. Un système empirique de veines et d’artères droites et légères, semblables à celles de leurs aïeuls, observables en tout point, capables de répondre aux horreurs les plus contagieuses par leur impassible affirmation, ouvrant béante, un aperçu sur l’inconcevable. La vallée les acquitterait de l'obligation d’un quelconque paraître plus ou moins stérile dans leurs nouvelles existences, à nouveau justifiées par le sang versé et le refus armé d’une asphyxie trop bien programmée.

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